Chronologie des faits marquants dans l’histoire du Rwanda jusqu’en 1994
Le but de cette rétrospective est de donner au lecteur un aperçu des faits qui façonnèrent le Rwanda afin de l’aider à mieux saisir les événements qui l’ont déchiré.
2000-500 av. J-C : Période estimée d'occupation du territoire par les Twas, un peuple pygmoïde de chasseurs-cueilleurs et d'habitants de la forêt. Ils vivent de la chasse, fabriquent de la poterie et sont habiles à la vannerie.
Autour de 1000 ap. J-C : Les Hutus, une peuplade d’agriculteurs d’Afrique de l’Ouest migrent vers la région des Grands Lacs et s’installent dans différentes parties du futur Rwanda. Ils s’organisent progressivement en petits États supervisés par des clans dominants qui, avec le temps, deviennent des dynasties.
Entre 1000 et 1400 ap. J-C : Les Tutsis, une peuplade d’éleveurs, migrent du Nord et s’installent à leur tour dans la région des Grands Lacs. Ils occupent la partie la plus centrale du Rwanda. Ils en adoptent la langue et les coutumes et, dans une certaine mesure, s’allient aux Hutus par mariage. Le nombre d’éleveurs augmente dans les États.
De 1500 à 1885 : Une unification progressive du royaume du Rwanda se produit sous la dynastie tutsie des Nyiginya. Hutus, Tutsis et Twas vivent en harmonie : ils s'identifient comme Banyarwanda (rwandais) ou selon les 19 clans qui structurent l'ensemble de la société rwandaise. Hutus, Tutsis et Twas combattent en commun pour étendre leur territoire et renforcer le royaume du Rwanda sur les plans militaire et administratif. À ce stade, la société rwandaise peut se comparer au système féodal européen avec un système de servage largement accepté et pratiqué à tous les niveaux de la population.
1885 : La Conférence de Berlin organise le partage de l’Afrique entre les puissances européennes. Le Rwanda est attribué à l’Empire germanique. Le roi régnant est alors Kigeli IV Rwabugiri.
1885-1916 : Les Allemands arrivent au Rwanda et y établissent un régime colonial.
1894 : Le comte Gustav Adolf von Götzen arrive au Rwanda. C’est le début de l’histoire écrite du Rwanda.
1895 : À Runcunshu, des rivalités sanglantes en vue de la succession éclatent entre Rutalindwa et Musinga, les fils du roi Kigeli IV Rwabugiri.
1895/1896 : Règne écourté du roi Mibambwe IV Rutalindwa. Les Allemands mettent à profit les remous de la succession au Rwanda pour venir du Tanganyika revendiquer les royaumes du Rwanda et du Burundi au nom du Kaiser.
1896 : Début du règne de Yuhi V Musinga, caractérisé par les relations tendues, quasi hostiles, du roi avec l’autorité coloniale qui commence à s’imposer. Il est contraint d’abdiquer en faveur de son fils en 1931.
1900 : Les Missionnaires d’Afrique du cardinal Lavigerie, connus également sous le nom de « Pères Blancs », arrivent au Rwanda pour fonder la première mission catholique à Save, dans le sud du pays.
1906 : Les Allemands établissent un centre administratif à Kigali et Richard Kandt, un illustre explorateur, est nommé « Premier Résident ».
1910 : La Conférence de Bruxelles fixe les frontières territoriales de l’Afrique orientale allemande incluant le Tanganyika, Zanzibar, et le Ruanda-Urundi.
1911 : La Schutztruppe (litt. : troupe de protection) allemande, soutenue par les chefs tutsis et des Hutus des régions sud du Rwanda, écrase un soulèvement provoqué par les Hutus des régions nord, suscitant chez ces derniers une profonde amertume contre leurs compatriotes hutus et tutsis du sud qui avaient participé à l’opération.
1913-1914 : Les Allemands introduisent la culture commerciale du café et instaurent un impôt de capitation.
1916 : Les troupes belges attaquent Shangi, un endroit du Rwanda situé sur la frontière du Rwanda et du Congo. Ils chassent les Allemands et occupent le Rwanda et l’Urundi.
1916-1962 : Domination coloniale des Belges (46 ans).
1918 : Le traité de Versailles place le Rwanda sous protectorat belge.
1923/1924 : Le Ruanda-Urundi devient un territoire sous tutelle de la Société des Nations.
1926 : Le Ruanda-Urundi devient partie intégrante de la colonie du Congo belge.
1926-1960 : Les Belges gouvernent séparément le Ruanda-Urundi en s’appuyant sur les monarques traditionnels tutsis appelés Abami. Ils réforment l’administration coutumière, destituent les chefs hutus à présent perçus comme incapables de gouverner, et privilégient les Tutsis en tant que classe. Ils contraignent les Hutus au travail forcé effectué sous la supervision de chefs et de sous-chefs tutsis. Les Tutsis dans leur ensemble sont avantagés dans les écoles, dans l’administration, et privilégiés socialement.
1931 : Le roi Yuhi V Musinga est contraint d’abdiquer ; il est exilé à Kamembe et plus tard au Congo belge. Son fils Rudahigwa est intronisé sous le nom de Mutara III Rudahigwa.
1933 : Les Belges organisent un recensement au cours duquel les Rwandais sont classés en trois catégories : Hutu, Tutsi et Twa sur la base, entre autres, du nombre de bovins qu’ils possèdent. Ceux qui ont dix vaches et plus sont étiquetés tutsis, ceux qui en ont moins sont catalogués hutus.
1933 : Les Pères Blancs créent le premier journal catholique, Kinyamateka (litt. : le journal) qui joue un rôle décisif dans la propagation de concepts nouveaux comme : la démocratie, la majorité, l’égalité, la révolution. Le rédacteur en chef, Grégoire Kayibanda, deviendra le premier président du Rwanda après l’Indépendance.
1945/1946 : Le mandat belge sur le territoire est soumis à la tutelle de l’ONU. Première inspection du Conseil de Tutelle au Ruanda-Urundi et au Tanganyika.
1950-1959 : Neuf années de changements décisifs. Les Tutsis au pouvoir réclament l’indépendance suivant la ligne politique empruntée par une majorité de pays africains. Les autorités coloniales belges se rallient alors à la cause des Hutus en avançant l’idée que ces derniers ont été longuement opprimés par les Tutsis.
1957 : Publication d’un document connu plus tard sous l’appellation de « Manifeste hutu ». Pour la première fois, les Tutsis sont décrits publiquement comme une « race étrangère minoritaire » originaire d’Abyssinie ou d’Éthiopie, qui exploite les « indigènes rwandais hutus ». C’est le début d’une idéologie haineuse à l’encontre des Tutsis en tant que « groupe ethnique ».
1959 : Mort du roi Charles Mutara III Rudahigwa à Bujumbura, Burundi. Les Tutsis, Hutus et Twas fidèles à la monarchie traditionnelle tentent de lui faire succéder son frère Ndahindurwa Jean qui prend le nom de Kigeli V Ndahindurwa. Des troupes de parachutistes belges du Congo voisin, soutenus par des soldats congolais, planifient et mettent en œuvre l’abolition de la monarchie et orchestrent la révolution hutue. Des milliers de Tutsis sont massacrés, leur bétail abattu, leurs maisons brûlées et leurs biens pillés. Les rescapés se réfugient dans des églises et sont épargnés. Beaucoup sont exilés dans les pays voisins (Ouganda, Tanzanie, Burundi et Congo). D’autres sont autorisés à rester au Rwanda mais sont regroupés dans des zones souvent arides (Gikongoro, Bugesera, Gashora, Rukumberi).
1960 : La monarchie est abolie et le Rwanda devient une république. Le roi Kigeli V Ndahindurwa est exilé au Congo puis s’enfuit successivement en Ouganda, au Kenya et finalement aux USA.
1961-1965 : Début de la pluralité politique au Rwanda. Le PARMEHUTU, le parti de la majorité hutue, gagne les élections. Les rebelles tutsis (surnommés Inyenzi, les « cancrelats ») organisent depuis le Burundi, le Congo ou l’Ouganda des tentatives de déstabilisation du gouvernement hutu que celui-ci châtie en cautionnant des vagues successives de massacres des Tutsis restés au Rwanda. D’autres Tutsis fuient le pays pour grossir la diaspora, qui comprend à présent plus de la moitié de l’ensemble de la population tutsie. L’auteur Bertrand Russell compare ces massacres à l’extermination systématique des Juifs par les Nazis.
1962 : Le Rwanda devient indépendant.
1962-1994 : Le Rwanda d’après l’Indépendance est gouverné par les Hutus. La Première et la Deuxième République consolident l’influence de la tendance extrémiste et procèdent à l’élimination systématique des Tutsis des sphères politique, militaire, administrative et éducative. Un système de quotas est installé dans les écoles. Les cartes d’identité mentionnant l’ethnie, introduites par les Belges, sont maintenues. Le gouvernement hutu maintient aussi le système de servage dans la société rwandaise. Les Tutsis sont assimilés à une caste incapable de travailler et avide de pouvoir politique. Tout doit être fait pour les empêcher de reconquérir le pouvoir. Des mesures sont prises pour prévenir tout contact entre les Tutsi du pays et ceux de la diaspora et pour empêcher les exilés de revenir sur le sol natal.
1973-1990 : Le président hutu Juvénal Habyarimana déchoit de ses fonctions le président Grégoire Kayibanda, un Hutu du sud, ce qui amène une nouvelle vague de Tutsis à fuir vers les pays voisins. Le président Habyarimana remplace la coopération avec la Belgique dans les domaines militaire et économique par une coopération avec la France, transforme la Constitution et installe un système de parti unique de gouvernement, le MRND (Mouvement national révolutionnaire pour le développement). En 1980, il interdit le retour au pays natal à 80 000 réfugiés tutsis qui avaient fui en Ouganda. L’Ougandais Yoweri Museveni recrute une partie de ces réfugiés dans son armée, la NRA (acronyme anglais pour « Armée de résistance nationale »).
1986 : Yoweri Museveni prend le pouvoir en Ouganda grâce à l’aide massive des éléments rwandais de son armée.
1987 : La diaspora tutsie fonde un parti, le FPR (Front patriotique rwandais) ; une armée, l’APR (Armée patriotique rwandaise), est recrutée à partir de 1988.
1989 : Lorsque l’opposition au président Juvénal Habyarimana se manifeste au Rwanda, un député, plusieurs journalistes et le rédacteur en chef de Kinyamateka sont assassinés par la Garde nationale de Sécurité.
1990-1994 : Le génocide fermente. L’armée des rebelles tutsis appelée Inkotanyi attaque le gouvernement de Kigali depuis l’Ouganda et occupe une petite partie du pays. Cette armée se compose essentiellement des familles et sympathisants de la diaspora qui avaient pris la fuite pour échapper aux massacres et aux troubles entre 1959 et 1973. Les Tutsis du pays, bien que pris eux-mêmes au dépourvu, sont accusés de complicité avec les rebelles. Environ 5 000 Tutsis sont arrêtés à travers tout le pays et jetés en prison. Certains y succombent suite aux mauvais traitements. Le gouvernement hutu lance depuis Kigali à l’encontre des Tutsis visés comme « ethnie » une campagne de propagande haineuse, relayée par les médias (la radio d’État et des journaux privés comme Kangura / Kanguka). L’armée rebelle, de son côté, tente de recruter des jeunes Tutsis du pays, organise des collectes de fonds et des réunions de sensibilisation dans son quartier général à Mulindi. Désormais, le mélange de haine ethnique et de tribalisme fermente et se répand à mesure que des factions politiques se développent sur des critères ethniques.
1990 : Des troupes françaises cantonnées en République Centrafricaine, appuyées par des soldats belges et congolais, interviennent dans le conflit et, prenant le parti du gouvernement de Kigali, tentent de mater la « rébellion » (sic). Les rebelles recourent alors à la guérilla et intensifient leurs attaques, infligeant de lourdes pertes à l’armée gouvernementale et défiant les troupes françaises. Un millier de Tutsis d’origine Bahima sont massacrés en représailles dans la région de Mutara. Le gouvernement qualifie le massacre « d’honorable travail communautaire ».
1991-1993 : Les principaux événements de cette période sont : des représailles sans fin et des massacres de Tutsis dans diverses régions du Rwanda (Gisenyi, Kibilira, Ruhengeri, Kibuye et Bugesera) ; des négociations de paix entre les rebelles et le gouvernement à Arusha, en Tanzanie ; la fondation du parti radical hutu connu sous le nom de CDR (Coalition pour la défense de la république) ; le discours du professeur Léon Mugesera, membre du MRND, prônant l'extermination des Tutsis de la manière la plus efficace: les tuer à coups de machettes et les jeter dans la rivière Akagera qui les ramènera dans leur patrie d’origine, l'Éthiopie.
1993 : L’armée rebelle lance une attaque d’importance depuis le nord et, cette fois, arrive à portée de voix de Kigali. La Radio Télévision Libre des Mille Collines hutue lance sa campagne de propagande raciste. Des extrémistes tutsis burundais tuent Melchior Ndadaye, le président hutu du Burundi. En représailles, la population tutsie du nord du Burundi se fait massacrer. L’armée tutsie du Burundi s’engage à son tour dans une campagne de rétorsion et de nombreux Hutus se réfugient au Rwanda. Ces réfugiés répandent l’idée que « si vous ne tuez pas préventivement les Tutsis, ils vous tueront comme ils l’ont fait pour le président du Burundi ».
Octobre 1993 : Les troupes françaises quittent le Rwanda et sont remplacées par les forces de la paix de l’ONU (environ 1 260 soldats). En décembre 1993, 600 soldats de l’armée rebelle sont installés dans les locaux du Parlement pour favoriser la mise en œuvre du pacte de paix dit « Accords d’Arusha ».
21 janvier 1994 : La Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) fouille à Kigali un avion-cargo DC8 dont le vol n’était pas enregistré et trouve des tonnes d’obus d’artillerie et de mortiers. Les documents de l’avion (agréments, titres de propriété, assurances, manifestes de fret) mentionnent des sociétés de France, du Royaume-Uni, de Belgique, d’Égypte, et du Ghana. La plupart des pays de la liste fournissent des troupes à la MINUAR.
Les Accords d’Arusha sont au point mort parce que le parti hutu extrémiste CDR s’oppose au gouvernement de transition à base élargie qui inclut les rebelles du FPR et les partis d’opposition. Des massacres de Tutsi sont perpétrés à Kigali sous le regard des Forces de la paix. L’ONU envoie 1 000 soldats de la paix supplémentaires à cause de l’escalade de la violence. L’ambassadeur belge, Johan Swinnen, avertit que la station de radio haineuse du RTLM déstabilise le Rwanda. La CIA signale que si les hostilités devaient reprendre, un demi-million de personnes risqueraient de périr. Le général Roméo Dallaire écrit à Kofi Annan, alors secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU à New-York. Il lui signale que selon Jean-Pierre, un informateur anonyme haut placé dans le cercle interne de la milice Interahamwe du gouvernement rwandais, les Hutus extrémistes avaient reçu l’ordre de tuer tous les Tutsis de Kigali. Jean-Pierre soupçonne que les listes d’enregistrement des Tutsis vont servir à leur extermination et propose de révéler toutes les caches d’armes en échange de l’asile pour lui et sa famille. Il affirme que les équipes sous ses ordres sont capables de tuer jusqu’à 10 000 personnes en 20 minutes. Le général Dallaire tente de persuader les quartiers généraux de l’ONU de le laisser procéder à la saisie de ces armes mais se heurte à une fin de non-recevoir.
Février 1994 : Des partisans du Hutu Power, une tendance extrémiste du parti hutu du MDR, attaquent lors d’une réunion les dirigeants du parti et en tuent huit. Félicien Gatabazi, responsable du parti hutu modéré du PSD, est assassiné à Kigali à l’entrée de sa résidence. Onze consultants militaires français en civil sont identifiés à Kigali.
Martin Bucyana, le dirigeant du CDR (un parti hutu extrémiste) est tué à Butare, la région de Félicien Gatabazi. Des douzaines de personnes sont assassinées en représailles. Dallaire prévient le siège de l’ONU à New-York de la détérioration de la situation. Il signale des distributions d’armes et la tenue de listes de personnes ciblées par les escadrons de la mort, et plaide en faveur d’un envoi de renforts militaires à la MINUAR. Le département d’État américain évalue la sécurité au Rwanda et émet un avertissement aux voyageurs, leur déconseillant de se rendre au Rwanda. Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins sans frontières (MSF) stockent médicaments et matériel médical en prévision d’un nombre important de victimes.
Mars 1994 : 800 soldats de la paix du Ghana rejoignent la MINUAR.
Le CDR change de stratégie et accepte la formation d’un gouvernement de transition, mais les autres partis refusent qu’il y participe. Les forces gouvernementales (FAR) organisent une réunion pour prévoir une stratégie qui permettrait d’exterminer les « infiltrés », à savoir les Tutsis et leurs sympathisants hutus.
De nombreux militants rwandais des droits de l’Homme évacuent leurs familles de Kigali, persuadés de l’imminence des massacres. La communauté des Corps diplomatiques à Kigali publie un communiqué commun réclamant l’intégration du CDR. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général des Nations Unies, écrit au Conseil de Sécurité de l’ONU pour demander un prolongement de six mois du mandat de la MINUAR.
2 avril 1994 : La station de radio hutu extrémiste de la RTLM annonce : « Les 3, 4, 5 avril, les esprits s’échaufferont, et le 6 avril, il y aura un répit quoiqu’une petite chose pourrait se produire. Puis, le 7 et le 8 avril, et les autres jours d’avril, vous assisterez forcément à quelque chose. » Lors d’une soirée organisée par la MINUAR, le général Bagosora, un membre du MRND, affirme que « les Accords d’Arusha n’offrent aucune garantie » et mentionne l’extermination des Tutsis comme un dénouement probable. Jacques-Roger Booh, le représentant des Nations Unies au Rwanda, brandit la menace d’un retrait des troupes de l’ONU si les accords de paix d’Arusha n’étaient pas appliqués.
6 avril 1994 : Le feu aux poudres : deux missiles sol-air abattent l’avion présidentiel à son retour de Tanzanie. Tous les passagers, dont le président Habyarimana du Rwanda et le président du Burundi, périssent dans le crash de l’avion près de la piste d’atterrissage de l’aéroport international de Kigali. Dans l’heure même qui suit la catastrophe, les massacres d’hommes politiques tutsis et hutus modérés commencent à Kigali. Des barrages routiers sont systématiquement installés à travers toute la ville de Kigali.
7 avril 1994 : La tuerie de masse des Tutsis démarre de porte en porte à Kigali alors que la radio nationale diffuse des messages ordonnant aux Rwandais de ne pas sortir de chez eux jusqu’à nouvel ordre. Des barrages routiers sont installés environ tous les 0,5 km à travers le Rwanda.
Les forces des Nations Unies restent passives pendant que des milliers de Tutsis sont massacrés car intervenir est considéré comme « un manquement à leur mandat de surveillance ». La Garde présidentielle prend la tête des tueries et assassine la Première ministre Agathe Uwilingiyimana et dix soldats de la paix des Nations Unies. La radio de la haine RTLM diffuse la rumeur que les troupes belges auraient tué le président Juvénal Habyarimana. Des listes de personnes spécifiquement ciblées sont distribuées à la milice et le génocide s’effectue à grande échelle. La RTLM accuse les Belges et le FPR d’être responsables de la mort du président Habyarimana.
8 avril 1994 : Le FPR lance une offensive majeure et déclare qu’il combattra quiconque tenterait de freiner l’avancée de ses troupes. Les lignes de téléphone sont coupées partout à travers le pays. Des Tutsis de plus en plus nombreux sont tués. L’ancien président du Parlement, Théodore Sindikubwabo, du MRND, annonce la formation du Gouvernement intérimaire du Rwanda (GIR) et s’auto-proclame président de la République.
9 avril 1994 : Les milices Interahamwe et les troupes de la Garde présidentielle mènent les massacres des Tutsis à Gikondo dans la région de Kigali. L’évacuation des fonctionnaires étrangers s’amorce. Le FPR franchit sa base établie dans le nord et attaque Byumba et Ruhengeri. La France procède à un envoi de troupes au Rwanda sous le nom d’Opération Amaryllis. La Belgique envoie un nombre encore supérieur de forces dans le cadre de sa propre Opération Silverback.
10 et 11 avril 1994 : L’évacuation des étrangers occidentaux se poursuit. Les ressortissants rwandais ne sont pas autorisés à quitter le pays avec les étrangers. Des prisonniers sont employés pour évacuer les cadavres qui jonchent les rues de Kigali avec des charrettes-poubelles. L’ambassadeur des USA, Rawson, ferme l’ambassade américaine à Kigali. Le FPR lance une attaque sur la ville. Le général Dallaire obtient un cessez-le-feu avec le FPR. Les troupes belges des Nations Unies se retirent de l’École technique Kicukiro, abandonnant de fait les plus de 2 000 personnes qui s’y trouvent. Toute sont massacrées par la milice Interahamwe avec des machettes et d’autres armes dans les minutes qui suivent le départ des militaires.
12 avril 1994 : L’ambassade de France ferme ses portes. L’armée du FPR attaque Kigali. Le GIR s’enfuit à Gitarama. Innocent et Canisius, des amis de Tharcisse Seminega à Butare, le préviennent que tous les Tutsis seront tués au seul motif de leur ethnie, indépendamment de leurs opinions politiques ou croyances religieuses.
13 au 16 avril 1994 : Les Belges retirent leurs troupes de la MINUAR. Les Tutsis blessés sont extirpés de force des ambulances de la Croix-Rouge et exécutés. Fin de l’opération Amaryllis le 16 avril 1994. Le génocide s’étend à tout le territoire du Rwanda à l’exception de Butare, la région du président intérimaire, Théodore Sindikibwabo.
18 et 19 avril 1994 : Le président Sindikubwabo se déplace à Butare et démet de ses fonctions le Dr. Jean Baptiste Habyarimana, préfet de Butare – un Tutsi qui refuse d’organiser des tueries dans sa région – et le remplace par Sylvain Nsabimana. La radio d’État annonce la nouvelle de la destitution. Le président Sindikubwabo donne un discours où il invite la population hutue locale à « arrêter d’être des spectateurs et à sortir se mettre au travail ».
20 avril 1994 : Des résidents hutus de Kigali commencent à fuir vers la République Démocratique du Congo. Deux avions Hercules se posent à l’aéroport de Butare. La ville est encerclée par les soldats de la Garde présidentielle qui installent des barrages routiers surveillés étroitement jour et nuit.
21 au 30 avril 1994 : Le génocide démarre dans la ville de Butare. L’ancien préfet Jean-Baptiste Habyarimana, le Pr. Pierre Claver Karenzi et la reine Rosalie Gicanda sont assassinés. Des Tutsis sont massacrés et leurs maisons brûlées dans les régions de Huye, Matyazo, Shyanda, Cyarwa, Ndora, Mpare aussi bien que dans les régions plus reculées de Malaba, Muganza, Nyakizu, et Runyinya.
Un survivant du génocide de Butare atteste que les autorités de Butare, groupées devant un hôtel de la ville, regardaient sans la moindre émotion les Tutsis se faire arrêter, charger dans des camions et des camionnettes ou massacrer avec des gourdins et des machettes. Ces autorités principales incluaient un membre nouvellement nommé à Butare ; l’autorité principale de la ville ; l’une des hautes autorités de l’UNR (Université nationale du Rwanda) ; un commerçant réputé de Butare ; et les personnes de haut rang des communes de Huye, Shyanda, Mbazi, Ndora et Muganza.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies réduit les forces de la MINUAR de 2 500 à 270 en réaction à l’assassinat des dix soldats de la paix belges des Nations Unies. L’Interahamwe perçoit cette décision comme une autorisation d’aller massacrer des Tutsis.
La population tutsie, qui avait cru dans les promesses de sécurité, est désespérée et se sent trahie. La RTLM réclame que les soldats belges soient remplacés par des soldats français.
Les autorités de la Croix-Rouge déclarent qu’elles n’ont jamais vu auparavant « une tragédie humaine avec des massacres aussi étendus ». Elles démontrent clairement la différence entre « guerre civile » et « génocide ».
Médecins sans Frontières (MSF) retire son équipe médicale de Butare.
Maurice Herson, l’officier responsable de la coordination des urgences de l’OXFAM (une ONG), téléphone à son quartier général pour dire qu’un génocide a lieu au Rwanda et publie ultérieurement un communiqué de presse affirmant que l’ampleur des tueries du Rwanda s’apparente à un « génocide ». Le journal français Le Monde publie les déclarations d’un témoin oculaire de MSF qui affirme que « quiconque suspecté d’être tutsi est tué ». Boutros Boutros-Ghali déclare qu’à son avis, au Rwanda, des Hutus tuent des Tutsis et des Tutsis tuent des Hutus mais il utilise également le terme « génocide » et plaide pour l’idée d’une nouvelle intervention armée des Nations Unies. Lors d’une réunion des Nations Unies, Madeleine Albright, secrétaire d’État des USA, récuse le terme de génocide. En France, les autorités de Matignon et de l’Élysée reçoivent le ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire du Rwanda et le président du parti hutu extrémiste du CDR alors que la Belgique leur refuse des visas d’entrée. Le FPR prend la ville frontalière de Rusumo, à la frontière tanzanienne.
1er au 31 mai 1994 : L’armée gouvernementale du Rwanda est battue par le FPR et fuit en République Démocratique du Congo avec des centaines de milliers de personnes. Les USA soutiennent la motion de Boutros Boutros-Ghali pour une nouvelle intervention des Nations Unies mais estiment qu’elle prendra trop de temps pour être efficace et n’arrêtera pas les événements en cours. Boutros-Ghali suggère de suivre le plan originel du général Dallaire consistant à acheminer par avion à Kigali 5 500 soldats pour stopper la poursuite du génocide. Le représentant du gouvernement provisoire du Rwanda auprès de l’ONU déclare que « des centaines de milliers de Hutus sont tués par le RPF juste parce qu’ils sont hutus » et ajoute que les soldats du RPF mangent les cœurs de leurs victimes.
En même temps, la RTLM continue à diffuser des mots d’ordre tels que : « Combattez les cancrelats (les Tutsis) » ; « Écrasez-les vivants » ; « Servez-vous de lances, de gourdins, de machettes et de pierres » ; « Taillez-les en pièces avec n’importe quoi, ces ennemis de la démocratie » ; « Montrez-leur que vous savez vous défendre » ; « Encouragez vos soldats ».
Le FPR prend le contrôle de l’aéroport international de Kigali et du camp militaire de Kanombe et étend son contrôle sur les régions nord et est du pays. L’armée gouvernementale continue de fuir vers le sud devant l’avancée du FPR. Ce dernier s’empare du palais présidentiel.
1er au 30 juin 1994 : Les vols humanitaires canadiens sont contraints de s’interrompre. L’armée rwandaise lance sa dernière attaque contre les forces du FPR dans le sud du Rwanda (Kabyayi) mais le FPR s’empare de Kabyayi. La résolution 925 de l’ONU prolonge le mandat de la MINUAR jusqu’en décembre 1994. Le secrétaire d’État américain parle de « génocide » au Rwanda. Nelson Mandela déclare : « La situation au Rwanda est une véritable honte pour toute l’Afrique. Tout cela doit changer et nous devons agir. »
Le Gouvernement intérimaire s’installe à Gitarama mais le FPR s’empare de Gitarama. Le Gouvernement s’enfuit alors à Gisenyi. Le président français François Mitterrand annonce une intervention française au Rwanda. Le FPR déclare : « Après la mort de centaines de milliers de personnes innocentes, le gouvernement français qui en porte la responsabilité prétend à présent envoyer ses soldats pour arrêter le massacre. Son intention est claire : les troupes françaises viennent pour protéger les assassins. »
La France, dans le cadre de l’Opération Turquoise, propose d’installer une « Zone humanitaire sûre », ou ZHS, à cheval sur les zones frontières rwandaise et congolaise de Bukavu et Goma. Le Conseil de Sécurité de l’ONU approuve la proposition française par la résolution 929. Le Rapporteur spécial de la commission des Nations Unies sur les droits de l’Homme publie un rapport à Genève affirmant que « les massacres qui ont eu lieu à travers le Rwanda tout entier étaient une offensive génocidaire planifiée d’avance et systématique ».
1er au 19 juillet 1994 : Le Conseil de Sécurité de l’ONU crée une commission d’enquête sur le génocide au Rwanda. La RTLM diffuse ce message : « Nous devons continuer à nous battre parce que si nous perdons la bataille, nous finirons par être jugés, mais si nous obtenons la victoire, personne ne pourra nous juger. »
3 juillet 1994 : La RTLM arrête d’émettre depuis Kigali. Le FPR prend la ville de Butare, au sud du Rwanda, près la ZHS française, parfois appelée « zone turquoise ».
4 juillet 1994 : Le FPR prend le contrôle de tout Kigali.
5 juillet 1994 : La France cantonne la « zone turquoise » à la partie sud-ouest du pays. La famille Seminega quitte sa cachette à Munazi (préfecture de Butare) sous la supervision d’un détachement de soldats du FPR qui les emmène au camp de rescapés de Shyanda.
6 juillet 1994 : Les vols humanitaires canadiens reprennent.
7 juillet 1994 : Réouverture de l’aéroport international de Kigali.
9 juillet 1994 : Les charniers découverts par le FPR à Butare l’amènent à tuer des centaines de personnes en représailles.
13 et 14 juillet 1994 : La ville de Ruhengeri est prise par le FPR et l’on estime à 1 million le nombre de personnes qui franchissent la frontière vers Goma, au Zaïre (à présent République Démocratique du Congo ou RDC). L’Administration Clinton cesse de reconnaître le Gouvernement intérimaire du Rwanda.
16 juillet 1994 : Treize ministres du Gouvernement intérimaire cherchent refuge dans la ZHS établie par les Français. Le FPR prend Gisenyi, dernier bastion du Hutu Power.
18 juillet 1994 : La guerre se termine quand le FPR inflige une défaite aux derniers éléments des troupes gouvernementales encore au Rwanda. L’ancien chef d’état-major de l’armée gouvernementale rwandaise déclare : « Le FPR règnera sur un désert ».
19 juillet 1994 : Pasteur Bizimungu devient le premier président du Rwanda sous les Accords d’Arusha concernant l’unité nationale. Le gouvernement d’unité nationale annonce l’abolition des cartes d’identité indiquant le groupe ethnique.
Source: SEMINEGA, Tharcisse. L’amour qui enraya la haine. Davenport (Iowa, États-Unis), GM&A Publishing, 2019. Appendice 4.